Dimanche 5 aout, Rishikesh
Nous prenons notre petit déjeuner à six heures. Il nous reste 100 km à faire jusqu’à Rishikesh, ce qui devrait prendre en principe 2 heures 30. Nous prenons un nouveau bus, celui d’hier ayant décidé de continuer dans la soirée et vraisemblablement dans la nuit.
J’ai du mal à y croire, mais la route est dégagée et nous avançons à bonne allure. Nous voyons malgré tout beaucoup de pierres sur la route, signe que des éboulements continuent.
Au bout d’une heure, nous sommes arrêtés par une Jeep bloquée au beau milieu de la voie, le bas de la caisse touche un amas de terre et de boue qui a glissé du flanc de la montagne. Les roues motrices touchent à peine le sol et patinent. Quatre ou cinq camions et bus sont arrêtés, tout le monde descend, et de longues discussions sur la façon de la débloquer s’engagent.
Quelqu’un propose que le camion juste derrière pousse le Jeep avec son pare-choc, mais le chauffeur qui a peur de l’abimer n’est pas d’accord. On se prépare alors à la tirer avec un câble d’acier, mais très vite la manœuvre doit s’arrêter, car des pierres commencent à tomber, et deviennent de plus en plus fréquentes, la zone autour de la Jeep devient alors dangereuse. Il se met à pleuvoir, tout le monde rentre dans son véhicule à regarder tomber les pierres tomber.
Petit à petit, la pluie aidant, les chutes de pierres s’accompagnent d’une coulée de boue qui entoure la jeep puis finit par la remplir à moitié. Tous les espoirs de la sortir de là par nos propres moyens s’évanouissent, et nous devrons une nouvelle fois attendre l’arrivée d’une pelleteuse.
Un indien qui a téléphoné pour demander de l’aide m’explique que ce n’est si facile, car d’autres éboulements ont lieu ailleurs, les pelleteuses sont déjà très occupées et n’ont peut-être même pas accès jusqu’à nous. Puis l’un d’eux finit par me dire « ten hours ». Je crois alors que je vais craquer. Il est huit heure trente du matin, et si la pelleteuse n’arrive que dans 10 heures, cela signifie que nous devrons passer une nouvelle nuit sur la route, coincés entre un ravin à pic et une falaise qui s’effrite progressivement, sur une route trop étroite pour que l’on puisse faire demi-tour. Complètement abattu, je transmets l’information à Mireille , « il a dit ‘ten hours’ », elle me répond sereinement « alors ça va, ce n’est que dans une heure et demie ». Une lueur d’espoir apparait.
Heureusement, c’est elle qui raison, toujours grace a son avantage de ne pas parler le “bon anglais”, et donc de comprendre l’anglais d’ici. La dépaneuse arrive assez ponctuellement vers 10 heures. Le déblaiement prend plus de temps que d’habitude, notamment parce que la pelleteuse doit d’abord dégager la Jeep qu’elle finit par secouer comme un panier à salade pour la vider de la boue après avoir retiré celle qui l’entoure.
La route est dégagée vers 13 heures, ce qui fait 6 heures de blocage. Les indiens ont comme toujours fait preuve d’énormément de patience, notamment ce père famille sur sa moto avec son épouse et ses 3 enfants. Nous repartons dans les premiers, puisque nous avons la chance que notre file démarre avant les véhicules qui vont en sens inverse, et que nous croisons sur au moins un kilomètre, souvent à quelques dizaines de centimètres seulement tellement la route est étroite. Je positive en me disant que s’il y a tant de véhicules en face, c’est qu’ils ont réussi à venir jusqu’ici, et que la route n’est donc pas bloquée un peu plus loin.
Hélas c’est oublier que nous ne sommes pas au pays du rationnel, et ce beau raisonnement est faux. Nous nous heurtons à un nouvel éboulement une heure plus tard. Il faudra 3 heures avant de repartir. En attendant la pelleteuse, une vingtaine des sikh commence à déblayer la route à la main, bravant le danger des pierres qui continuent à tomber, et jetant notamment dans le ravin un énorme bloc de pierre qui doit faire un mètre cinquante de haut, ce qui vaut une clameur générale au moment où elle est précipitée dans le vide. Par cet exploit, en unissant leurs forces et bravant les dangers, et malgré l’arrivée certaine d’une pelleteuse dont l’intervention reste nécessaire, ils sauvent la face devant cette nature dominante.
Lorsque le bus repart, le chauffeur visiblement très énervé, roule à vive allure, doublant inutilement d’autres bus sur l’étroite route de montagne, finissant par une course poursuite jusqu’au prochain village ou les deux bus s’arrêtent et les chauffeurs s’insultent devant des passants interloqués. Nous nous arrêtons pour prendre un repas rapide tardif, composé comme toujours d’un peu de riz, de légumes en sauce épicée et d’une galette de pain, plat qui me régale toujours autant bien qu’il ait été mon quotidien depuis presque trois semaines.
Nous repartons à 16h30 pour arriver une heure plus tard à Rishikesh où nous avons repéré un hôtel sur notre guide, le High Bank Peasant Cottage, assez luxueux sans être excessivement cher, et un peu à l’écart de la ville mais pas trop loin des berges du Gange où l’on peut se promener. La chambre est très correcte, et nous disposons d’une terrasse très agréable dotée d’un mobilier confortable. Nous posons nos affaires et partons nous balader dans la ville pour nous dégourdir les jambes après ces deux jours de bus.
Quel contraste avec les villes de montagne comme Gangotri, Joshimath ou Badrinath ! Ici ce ne sont que des boutiques touristiques. Même l’entrée du temple est payante, nous n’irons pas le visiter. Nous nous offrons un bon repas bien mérité sur une terrasse au bord du Gange.