Samedi 4 aout, Srinagar
Après avoir quitté l’hôtel, nous nous renseignons de nouveau sur l’état de la route. Le loueur de jeep nous indique, contrairement aux informations de la veille, que la route est coupée à 20 km. Un de ses passagers nous dit qu’il est possible de contourner en marchant par la montagne, mais parle d’un parcours de 2 km et non 7 km comme nous avions entendu 2 jours plus tôt sur place. Nous partons, confiants dans le fait que nous trouverons un moyen de passer.
Arrivés à l’éboulement nous constatons que la route est effectivement coupée. Nous avions envisagé de louer les services de porteurs ou de cheveaux pour les sacs, mais le montant demandé, 1000 Rs pour chacun, nous parait exorbitant. Certains indiens traversent la route en marchant sur les amas de pierres au risque de se faire prendre par des chutes qui peuvent s’avérer mortelles.
Après quelques hésitations, nous partons à la marche à travers la montagne en nous joignant à un groupe d’indiens qui disent bien connaitre. Le chemin est raide, la marche est épuisante avec cet air chargé d’humidité et un sac à dos plein qui s’alourdit encore avec la pluie fine.
Nous arrivons à un embranchement après une demie-heure de marche. Je demande aux indiens par où il faut passer puisqu’ils connaissent. Ils me répondent que c’est la première fois qu’ils font ce sentier. Sacrés indiens ! Nous discutons quelques minutes, un indien téléphone à un de ses ami, sans résultats. Ils décident de prendre à droite, je décide de prendre à gauche jusqu’à une habitation demander le chemin. A peine parti, je croise un habitant du coin qui nous indique que c’est à droite.
Les indiens qui sont très peu chargés, ils ont un petit sac de 2 kg alors que nous en avons chacun un de 12 à 15 kg, avancent à un bien meilleur rythme que nous, mais nous attendent régulièrement. L’un d’eux, d’une vingtaine d’années, nous présente sa carte de militaire et nous explique que nous sommes sous sa responsabilité. Il me donne l’impression de réciter un article de son règlement, mais ça fait quand même plaisir, d’autant plus qu’il est très sympathique.
Je suis vite épuisé par l’effort de cette marche avec un énorme sac à dos, par la fatigue accumulée depuis quelques jours, et surement par un manque d’alimentation énergétique à laquelle mon organisme est habitué; et je respire très fort, bien que l’altitude d’environ 2000 m ne devrait pas trop me priver d’oxygène. Nous faisons des pauses régulières pendant lesquelles nous partageons nos provisions. Les indiens nous donnent quelques gâteaux secs, nous leur donnons une bouteille d’eau.
A mi-parcours se sont installés un homme et un enfant qui vendent des bouteilles d’eau et des biscuits. Vu le nombre de marcheurs, ils ne doivent pas gagner plus de 100 Rs dans la journée. Je suis admiratif devant cette capacité à transformer toute situation, aussi exceptionnelle soit-elle, en opportunité qui comble un manque et rend service aux autres. Cette qualité, complétée par la priorité que les indiens mettent à l’éducation de leurs enfants, et des valeurs fortes comme la solidarité et l’esprit d’équipe, me laisse penser que l’Inde devrait devenir une des premières puissances mondiales d’ici pas plus d’une génération.
Nous arrivons au sommet au bout de deux heures. C’est un grand moment de joie partagée. Les indiens qui nous avaient attendus jusqu’alors partent devant, seul le militaire reste avec nous.
A 500 mètres de la route nous trouvons un indien qui a installé une mini buvette. Le militaire commande un chaï, achète un paquet de biscuits, et me demande si je veux quelque chose. Je lui réponds que non, mais je comprends vite à son regard que ce n’est pas la bonne réponse. Il nous offre le chaï et nius donne quelques biscuits que nous acceptons avec plaisir.
Arrivés sur la route, nous refaisons nos provisions en eau, et marchons 15 minutes jusqu’à un glissement de terrain que nous devrons contourner par une heure de marche. La montée, même de courte durée, est un véritable calvaire tellement je suis épuisé. Nous doublons quand même des touristes, un anglais et un couple de japonais. L’homme craque nerveusement, ou physiquement, je ne sais pas, tandis que l’anglais tente de le réconforter et l’aide à retrouver ses moyens.
Arrivés de nouveau sur la route, nous monton une Jeep prête à partir dans laquelle notre guide militaire qui avait pris un peu d’avance nous a réservé deux places. Cela nous permet de gagner 10 minutes dans une redescente vers la plaine qui durera 3 jours, pendant lesquels nous ferons une vitesse moyenne de 15 km/h , mais ça fait quand même plaisir.
La jeep part avec 15 passagers, et nous dépose une heure plus tard à Moussorie où son trajet s’arrête. Nos compagnons de voyages, dont notre ami militaire, cherchent une autre Jeep. De notre côté nous préférons monter dans un bus qui part presque immédiatement.
Nous serons encore ralentis par 3 glissements de terrain dans la journée. A chaque fois le scénario est le même : la route est route bloquée, tous les véhicules sont arrêtés et forment de chaque côté une longue file, nous attendons une ou deux heures que la pelleteuse arrive, puis encore une ou deux heures qu’elle déblaye le passage, puis le convoi repart très lentement le temps que la route se décongestionne.
Nous arrivons à Srinagar à 19 heures, après être partis de Joshimath à 6 heures, ce qui fait13 heures de voyages pour 150 kilomètres. Ce rythme est épuisant, mais au moins nous sommes maintenant en bas de la vallée, et donc avec la certitude de pouvoir sortir de ce qui commençait à se transformer en un piège infernal.
Nous décidons de retourner dans l’hôtel assez luxueux où nous avions pris un bon repas à l’aller, dans un restauant où nous retournons dès que nous avons déposé nos affaires et pris une douche. Le restaurant est vide comme souvent dans les hôtels, les indiens préfèrent se faire livrer leur repas dans leur chambre. Je commande un chaï en fin de repas. Le serveur me dit en souriant que ce n’est pas possible, il ne sert pas de thé à cette heure-là car cela empêche de dormir. Je me demande si c’est un simple d’esprit ou un sage, et me dis en final que cette question n’a pas de sens. Je ne prends pas de thé, c’est tout.