Jeudi 2 aout – retour à Joshimath
Je me lève avec le jour à 5h30, constatant alors que de nombreux véhicules qui étaient près de notre bus ont fait demi-tour : il ne reste 3 bus, quelques jeep, et des véhicules utilitaires et de transport de marchandise.
Je m’achète un chaï pour 10 Rs auquel j’ajoute deux doses de café en poudre que j’ai avec moi. Je pars ensuite marcher en direction de l’éboulement où il reste plus de monde, surtout des Sikh.
A 7 heures tout le monde est réveillé et la route commence à s’activer comme le ferait n’importe quel quartier d’une petite ville. Elle me fait penser à une caravane moderne qui se serait installée ici pour la nuit, et ressemble à ce que doit être à un camp de nomades. Un camp qui s’organise tranquillement, où semble démarrer la routine d’une journée habituelle, alors qu’à moi cette situation me semble invraissemblable.
Le soleil se met à briller, effaçant instantanément cette nuit de calvaire. Les couleurs vives des saris des femmes ajoutent à cette impression de renaissance qui succède à la désolation. Les cycles de la vie, si important dans la religion indous, semblent ici palpables. Des couvertures sont étendues par terre pour s’assoir, les repas se préparent, chacun est afféré à une tache bien précise.
Une bande de jeunes Sikh joue aux cartes dans une partie endiablée. Je les prends en photo, après leur avoir demandé l’autorisation comme il se doit. Non seulement ils acceptent, mais ils prennent la pause, font un peu de cinéma, et me demande d’en refaire une seconde car ils ne sont pas satisfait de la première.
Des marchands ambulants venant vraisemblablement des villages voisins viennent s’installer, l’un vend des pommes, un autre a amené un nécessaire pour faire cuire des chapatis. Nous achetons 6 petites pommes que je mangerais épluchées, en accompagnement d’un thé, devant des indiens qui semblent impressionnés par le style de mon couteaux. Il faut dire que j’ai pris un modèle plutôt sérieux, pouvant servir d’arme de défense si nécessaire.
La déblayeuse qui officiait déjà la veille sur l’autre côté de l’éboulement est entrée en action, et chacun a repris sa position au bord de la route, près du petit restaurant, à observer et à commenter les travaux. Un sadhu nous montre une grande plante au bord de la route, et nous dit que c’est un genre de cannabis. Les autres acquiescent, visiblement tout le monde connait.
Une pelleteuse finit par arriver, réussissant presque à m’arracher une larme de joie, et provoquant une acclamation générale, même si ce n’est pas la super machine qu’on attendait. Elle se met en place, escortées de quelques soldats ou policiers en uniforme, et se met doucement au travail, par petites périodes très courtes, et sous les ordres d’un soldat lui donne les directives, comme si le conducteur ne savait pas qu’il faut pousser les oierres dans le ravin. Il commande au pilote qui comande la machine, tel un chef d’orchestre quk dirigerait un seul instrument. Il apparait très vite que cette peleteuse est tout aussi inefficace que celle de la veille devant la masse de pierres à déblayer. Elle finit par s’arrêter et se ranger au bord de la route. La rumeur courre que la grosse machine doit arriver bientôt, et qu’il a été décidé de l’attendre.
Je retourne du côté de notre bus, derrière lequel les sadhus sont regroupés près du leur. L’un d’eux a attiré des singes en leur jetant un peu de nourriture. Très vite il y en a une bonne dizaine, avec beaucoup de bébés agrippés au ventre de leur mère. L’une d’elle en a même deux bébés : un sur le ventre, un sur le dos. Cette nouvelle attraction nous occupe une bonne demi-heure pendant laquelle nous redevenons tous des enfants émmerveillés par la nature, et devient l’occasion de conversations conviviales au sujet de tout et de rien.
Je trouve alors peut-être la réponse à la question du jeune indien qui me demandait hier soir pourquoi nous n’avions pas regagné un hôtel confortable en taxi. Tous simplement parce que sinon nous aurions raté cette expérience unique qui restera surement le souvenir le plus fort de notre voyage, cette nuit de détresse et cette vie de nomade au petit matin en compagnie de gens radicalement différents mais avec qui nous avons tant à partager.
Des plus en plus d’indiens décident de couper en marchant à travers la montagne sur un chemin 8 km. C’est tentant, mais nos sacs sont lourds. Nous nous renseignons auprès d’un policier qui nous le déconseille et nous informe que la route sera dégagées dans 3 heures, avec toujours autant d’assurance pour donner des réponses toujours aussi aléatoires.
Nous décidons d’aller nous balader sur le sentier qui monte dans la montagne. Nous rencontrons des jeunes du village, puis un vieil homme qui fume dans une pipe en terre. Lorsque nous avons monté 100 mètres nous surplombons toute la route, avec une vue imprenables sur les travaux de déblaiement qui ont repris.
L’organisation des travaux est rudimentaire : la déblayeuse travaille pendant qu’un policier à pieds surveille le haut de la montagne. Dès qu’il voit des pierres tomber, c’est-à-dire au bout de 10 minutes environ, il siffle en partant en courant, le conducteur recule alors son engin et se replie lui-même au plus vite. Les travaux ne redémarrent qu’après 5 minutes d’accalmie. L’équipe semble ignorer la peur, car le danger est évident.
Les chutes sont d’autant plus difficiles à prévenir, que c’est en général un seul gros bloc qui se détache d’abord, de façon peu perceptible, puis se fracasse en plusieurs morceaux après un premier rebond au bout de quelques secondes, chaque morceaux en entrainant ensuite lui même plusieurs autres.
De l’autre côté de la colline ou nous sommes installés, un bruit sourd attire mon attention, c’est la fameuse « grosse machine », montée sur chenilles, qui arrive sur la remorque d’un camion. Arrivée à 100 m de l’éboulement, elle est déchargée et se met en position pour intervenir, mais nous ne la verrons pas entrer en action.
Le bruit strident d’un sifflet nous indique qu’une chute de pierre est en cours. La déblayeuse tarde à reculer, se fait violemment heurter par un gros bloc de pierre qui la pousse a l’extérieur de la route, de laquelle elle dévale les amas de pierre comme un simple jouet pour disparaitre au fond du ravin. Nous ne savons pas si le chauffeur s’est fait emporter avec la pelleteuse. La montagne semble toujours nous observer dans un silence assourdissant, nous rappelant qu’elle est le maitre des lieux.
Je me dis que cette déblayeuse aurait pu être notre bus qui se serait aventuré une fois la route dégagée et déclarée praticable. Mireille semble se faire la même réflexion, et, refroidis par cet accident, nous décidons de rentrer à Joshimath. Nous redescendons en vitesse de la colline, j’interpelle une Jeep qui fait demi-tour, nous récupérons nos affaires dans le bus et repartons. Je fais un grand signe d’au-revoir de la main à mes compagnons de galère.
Nous retournons à l’hôtel Snow Crest où nous avons déjà séjourné, et commandons un bon repas pour nous réconforter. Mireille est prise de vertiges, surement du fait de la tension nerveuse, de la fatigue et du manque d’alimentation. Cela passe après un peu de calme et un morceau de sucre.
L’après-midi nous allons nous changer les idées en allant nous promener à Auli. Nous empruntons la route en projetant de monter par le sentier, mais très vite une voiture s’arrête et propose de nous amener. J’aime beaucoup les chansons qui sortent de son autoradio.Je regretterai vraiment d’être rentre sans ramener aucune référence musicale, ni traditionelle, ni moderne.